Tous les articles par grafplum

Jour de deuil dans ma ville

Avant propos

CONTEXTE :
Le jour d’après un acte odieux perpétré par deux jeunes français se réclamant de l’islam où un carnage se produisit dans un journal satirique, tuant douze personnes sans distinction, des journalistes à l’homme de ménage en passant par le correcteur, le Président de la République Française déclara la journée « deuil national».
PITCH :
Un groupe d’enfants d’origines différentes et mixte déambule dans la ville de Créteil, le jour de deuil et le lendemain.
L’ENJEU:
La tolérance n’est pas innée, mais s’acquière par l’instruction et l’éducation.
LES PERSONNAGES :
Un groupe d’enfants de 12ans :
Les trois personnages principaux du groupe :
1er personnage : Fatoumata dit Fatou, la meneuse, black, joviale, sympa.
2ème personnage : Pierre dit Bouboule, Pit, grassouillet, complexé, un peu irascible.
3ème personnage : Felix dit Féfé, Black, fin, grand, plein d’humour.
Les personnages secondaires du groupe:
Yan ran, une petite chinoise,
Ayoub, un jeune garçon français d’origine marocaine,
Rabia, sa petite soeur, (6ans)
Gaëlle, une petite française née en Bretagne.
Les autres personnages :
3 jeunes en classe de 3ème, en capuche,
Une vieille dame, Petite, le dos voûté par les années, le visage débonnaire, tenant à sa main droite une canne.
Un homme d’une cinquantaine d’années de confession juive, portant une kippa.
LES LIEUX :
Place de l’hôtel de ville de Créteil,
Devant un collège,
Sur le chemin qui mène à la médiathèque,
Devant la médiathèque.
Dans la médiathèque.
QUESTIONNEMENTS :
Pourquoi ce jour de deuil ? Parce que deux jeunes français ont tué des journalistes qui faisaient leur travail, sous couvert d’une religion.
Pourquoi des enfants ? Parce que je suis convaincue que par, entre autre, l’éducation et l’instruction on aurait pu éviter cet acte insensé et que la société doit s’y prendre dès leur plus jeune âge.
Pourquoi la place de l’hôtel de ville ? Lieux emblématiques de la citoyenneté.
Pourquoi l’école ? C’est dans ce lieu que l’on se socialise, que l’on devrait apprendre à devenir des citoyens, apprendre à vivre ensemble avec nos différences mais aussi, partager nos causes communes.
Pourquoi la médiathèque (gratuite dans cette ville) ? Lieu de culture, d’ouverture, il peut contribuer sérieusement à la lutte contre l’intolérance, l’obscurantisme et le fanatisme.

SCENARIO :

JOUR DE DEUIL NATIONAL DANS MA VILLE

SÉQUENCE 1 : PLACE DE L’HÔTEL DE VILLE À CRÉTEIL/DE JOUR

Plan large et fixe sur l’entrée de l’hôtel de ville. Les drapeaux sont en berne et ceints d’un ruban noir. Un grand silence de10 secondes. Puis une VOIX OFF se fait entendre.
VOIX OFF : (FATOUMATA) (15 secondes)
Aujourd’hui, mon pays est triste, des journalistes qui dessinaient ont été tués par des français avec des armes de guerre. Le Président de la République a dit qu’on était en deuil national. Mais, pourquoi on les a tués ? Moi, je dessine et maintenant j’ai peur.
Au début du discours de la voix off, il ne se passe rien. Puis on perçoit un bruit sourd. Le bruit s’amplifie. Des enfants entrent sur la place de l’hôtel de ville, en premier, Fatoumata. Les enfants sont en patins à roulettes et se présentent en file indienne. Ils rient et font un raffut pas possible. A un moment, ils se heurtent et tombent en riant à gorge déployée. Ils se relèvent et s’en vont.

SÉQUENCE 2/ DEVANT LA SORTIE DU COLLÈGE / JOUR à 16H30 / LE LENDEMAIN

Sortie de la classe de 6ème, petit chahut. Fatoumata cherche à regrouper la petite bande.
FATOUMATA :
Bouboule, Félix, vous venez à la médiathèque. On va faire le devoir que nous a demandé la prof de français.
Elle commence à embarquer ses potes tout en tentant d’élargir le groupe.
FATOUMATA :
Yan, Gaëlle, Ayoub, Rabia … vous venez
AYOUB :
On arrive.
Les enfants se regroupent plutôt énervés. Tantôt se bousculant, courant…Quand un mouvement d’humeur démarra.
PIERRE (dit BOUBOULE) :
Arrête de m’appeler Bouboule, mon prénom c’est Pierre,
FELIX :
waah ! T’as vu comment t’es gros, on dirait un cochon ! (Dit-il en riant).
Les autres rient et se moquent de Pierre. La situation s’envenime.
PIERRE :

Et toi t’es qu’un sale négro qui pue.
FELIX :
Non, je pue pas.
PIERRE :
Si ! Les noirs y puent et c’est des sauvages, c’est mon tonton qui l’a dit.
FATOUMATA :
N’importe quoi !
GAËLLE :
Mais arrêtez !
Petite, le dos voûté par les années, le visage débonnaire, tenant à sa main droite une canne, une vieille dame qui passe par là et qui assiste à la scène, intervient. Elle reconnait la petite troupe qui défile tous les soirs alors qu’elle est discrètement assise sur le banc à observer les passants.
LA VIEILLE DAME :
Qu’est ce qu’il se passe les enfants ?
Cacophonie générale.
LA VIEILLE DAME :
Chacun sont tour. Toi …Comment tu t’appelles ? (Demande-t-elle à Félix
FELIX ET PIERRE : (ensemble)
Négro (dit pierre), Félix (répond Félix)
LA VIEILLE DAME :
Ben ! Pourquoi tu l’appelles négro ? (Dit-elle en s’adressant à Pierre)
PIERRE :
Et bien lui il m’appelle bien Bouboule !
FELIX :
Oui, mais c’est pas pareil ! Toi t’es raciste !
LA VIEILLE DAME :
Mais vous êtes des amis ? Je crois !
LES ENFANTS TOUS EN CHOEUR :
Oh oui ! Madame.
LA VIEILLE DAME :
Alors, pourquoi vous vous insultez ?
Vous pouvez vous trouvez des surnoms marrants sans que cela blesse celui à qui vous l’avez donné. Par exemple : moi quand j’avais votre âge on m’avait donné le surnom de : «Zézette», au début ça m’a fait drôle et après j’en ai ri.
FATOUMATA :
C’est chaud !
LA VIEILLE DAME :
Mais non c’est marrant ! Et si on trouvait un surnom à Pierre ? !
AYOUB :
PIT, ça serait bien. Qu’ est-ce que t’en penses ? (S’adressant à Pierre)
PIERRE :
Ah oui, j’aime bien !
LA VIEILLE DAME:
Ben, Vous voyez que l’on peut arriver à être gentil avec ses amis !  Maintenant, Pit ce que tu as dit à Félix ce n’est pas terrible. Tu n’es pas obligé de répéter tout ce que tu entends.Tu as dis que les noirs puent ? Viens voir Fatoumata.(Elle s’adresse à Pierre) Est-ce que Fatoumata sent mauvais ?
Pierre s’approche de Fatoumata et la sent avec intensité en fermant les yeux.
PIERRE:
Qu’est ce que tu sens bon !
LA VIEILLE DAME :
Alors ?
PIERRE :
Vous avez raison, Madame, Fatou, elle sent vraiment très bon.
FELIX :
Et moi ?
PIERRE:
Toi, tu pues pas, tu sens le garçon !
LA VIEILLE DAME :
Ça y est, vous êtes réconciliés ?

LE GROUPE :
Oui, Madame ! Au revoir Madame.
Les enfants reprennent leur chemin plus calmes et plus joyeux en direction de la médiathèque.

 SÉQUENCE 3 / SUR LE CHEMIN DE LA MÉDIATHÈQUE / 16H 45

GAËLLE :
OHhh ! Mais, j’ai pas d’argent pour rentrer à la médiathèque.
FATOU :
T’inquiètes c’est gratos ! Tu n y es jamais allée ?
Tu vas voir c’est génial !
Rencontre houleuse avec trois jeunes en capuche, les troisièmes du collège. Ils entourent Pit et commencent à le secouer.
LE TROISIEME ENCAPUCHONNÉ:
Quescet’a dans tes poches ?
PIERRE :
Rien, rien !
A ce moment ses amis se regroupent autour du troisième en capuche et contribuent à le faire battre retraite.
PIERRE :
Ohhh, merci ! Ils me font peur ces mecs. Une fois, ils m’ont piqué ma casquette Chicago bull. C’était un cadeau de mon père.
AYOUB :
Je les connais, ils habitent dans mon quartier.
Ma mère ne veut pas que je les fréquente.

 SÉQUENCE 4 / DEVANT LA MÉDIATHÈQUE / 17 H

 YAN RAN :
Moi aussi, ils me font peur ces arabes !
AYOUB :
Ce sont des Algériens !
GAËLLE :
C’est pareil !
AYOUB :
Non c’est pas pareil. Moi, je suis Marocain et ma soeur Rabia, aussi. Et pourtant on dit qu’on est des arabes. Après on dit qu’on n’aime pas les arabes. Pourtant, moi je suis gentil, je travaille bien à l’école et je n’ai jamais fait de mal à personne. Alors, Yan Ran, tu dis plutôt que tu n’aimes pas ces gars là.
FELIX :
Moi, aussi on m’insulte, on me traite de sale négro !
GAËLLE
:
Toutes façons, c’est des imbéciles !
AYOUB :
Regardez, il y a des dessins !
LE GROUPE :
Ah ! C’est ça !?
FELIX :
C’est ça le blasphème ? ! Un monsieur avec un turban qui pleure.
Les enfants regardent avec attention les images.
FATOUMATA :
J’ai peur, tu crois que si je dessine, je vais me faire tuer ? (Demande t-elle à Gaêlle)
Grand silence, les enfants semblent médusés.
YAN RAN :
C’est à causes des arabes, ils sont méchants, ils égorgent les gens et tuent les enfants.
AYOUB :
Ta gueule !… Tu m’énerves.
Tu n’arrêtes pas de dire des bêtises.
C’est pas les arabes, c’est des méchants.
Tu vas finir par comprendre ?

Yan ran boude. Ayoub revient à la charge.
AYOUB :
Bon ! Arrête de faire du boudin.
Un homme, d’une cinquantaine d’année vêtu de noir, une kippa sur la tête arrive et regarde les dessins.
LE MONSIEUR :
Bonjour, les enfants.
LE GROUPE :
Bonjour, Monsieur.
LE MONSIEUR :
Vous en faîtes une tête ! On dirait que vous avez rencontré le loup !
RABIA : (D’un ton grave)
C’est un bafène (dit-elle en montrant le dessin)
AYOUB : (Reprend sa sœur)
Non, un Bla se fè me.
YAN RAN:
Mais c’est quoi un blasphème ?
AYOUB :
C’est quand tu dis du mal du prophète et des religions.
YAN RAN :
Moi, je suis chinoise et j’ai pas de religion.
LE MONSIEUR :
Oui, si tu crois en dieu, c’est un blasphème, mais, il y a des gens qui ne croient pas en dieu. Alors pour eux ce n’est qu’un dessin un peu… moqueur. C’est comme ça. Tu vis dans un pays où chacun peu croire en dieu ou ne pas croire. Moi des fois, je ris bien de leurs dessins. Alors j’accepte que temps en temps, on se moque de mon rabbin. Et puis, quand ça ne me plait pas, je ne le lis pas. En tous cas, on ne devrait pas mourir pour ça !
Les enfants écoutent avec attention les paroles de cet homme.
RABIA :
Alors, on va pas me tuer si je dessine un monsieur ?
LE MONSIEUR :
Mais non, tu peux dessiner, tout ce que tu veux.
Les enfants commencent à respirer.
FELIX :
Vous voyez, la prof de français, elle l’avait bien dit ! On peut dessiner.

SÉQUENCE 5 / DANS LA MÉDIATHÈQUE / RAYON BD / LUMIÈRE ARTIFICIELLE

Les enfants s’engouffrent dans la médiathèque et se précipitent au rayon bandes dessinées. Ils commencent à dessiner lentement, au début, puis de plus en plus absorbés ne voient plus le temps passé.
La voix off débute au moment où les enfants commencent à dessiner. VOIX OFF : (voix de femme)
Rire, c’est le propre de l’homme.
Une vie sans humour et sans rire vaut-elle d’être vécue ?
La caricature a toujours existé.
Hier des hommes qui ne faisaient que dessiner sont morts,
Parmi eux, cinq journalistes.
Il y a dans le monde des gens qui tuent pour nous faire taire.
Taire pour nos paroles, taire pour nos écrits et aussi,
Taire pour nos dessins.
Notre devoir à tous est de résister.
Merci à CHARB, CABU, TIGNOUS, WOLINSKI, HONORE,
Et aussi
à Moustapha Ourad, Ahmed Merabet, Bernard Maris, Michel Renaud, Franck Brisolaro, Fréderic Boisseau, Elsa Cayat.
Ils nous ont quitté…
D’autres prennent la relève.

Une sonnerie retentit, annonçant l’heure de la fermeture, les enfants sursautent.
PIERRE:
Déjà !

 FIN

 

Nuit d’errances

La nuit tombait sur la ville, mais il n’avait pas envie de rentrer. Il avait passé une journée atroce au travail. Il était plutôt énervé. Sa femme, Ginette, l’attendait pour manger. Il n’était pas pressé car elle cuisinait mal et en plus elle avait ses règles… Soirée animée en perspective. En général, elle était plutôt mal lunée pendant ces périodes là. Donc, sans un coup de fil, il décida d’aller se défouler. Il coupa son téléphone pour que Bobonne ne l’appelle pas et se dirigea vers le pub où il avait des potes, un peu ivrognes mais tellement plus drôles que sa régulière.
Il entra dans son refuge favori, salua avec entrain les gars accoudés au comptoir et se commanda une demi-pression. Sur le zinc, il y avait des œufs durs et des cacahuètes. Il commença à taper dedans. Sa femme avait beau mal cuisiner, il n’en avait pas moins faim. L’ambiance était aux rires gras et aux plaisanteries salaces. Pas une femme à l’horizon.
Tout à coup entra une blonde décolorée avec une choucroute sur la tête, des cheveux un peu usés par les permanentes, un maquillage fatigué par une journée bien remplie. Sa démarche donnait la nausée à celui qui avait le malheur de la regarder avec intensité. Elle tanguait comme un bateau dans la tempête, un coup à droite, « oups » un coup à gauche. Jean qui avait tellement bu et qui eut l’audace de la suivre du regard, finit par en avoir un haut le cœur.
Il se précipita hors du pub et se mit à vomir dans le caniveau, quand une voiture noire décapotable se gara juste en face de lui. Le type qui en sorti ressemblait plus à un mac qu’à un bourgeois bien léché. Il portait un costume noir à grosses rayures blanches, cintré, des chaussures brillantes, blanches et noires et une cravate autour du cou qui aurait fait fuir n’importe quelle nana avec un peu de cervelle. Le cigare au bec, l’homme regarda d’un œil mauvais Jean qui venait de rendre ses tripes. Il le toisa avec insistance, lui faisant comprendre qu’il ne fallait pas s’aviser de salir sa belle voiture qu’il venait de faire nettoyer et reluire. Il se dirigea d’un pas sûr et régulier vers le pub. Jean hésita à en faire de même. Ça ne sentait pas bon.
Il attendit un petit moment et comme il n’était pas très courageux mais qu’il avait très soif, il se glissa discrètement à la porte du pub. Il colla son oreille sur la porte, histoire de tâter le terrain et ô surprise, derrière la porte, il entendit des rires étouffés. Jean qui avait un coté un peu parano crut que l’on se moquait de lui. Il resta un moment la main sur la poignée de la porte, pris son courage avec sa deuxième main et fit son entrée. Les rires s’arrêtèrent et tout le monde le regarda.
Gégé, une grande gueule, commença à le vanner et tout le monde se mis à en faire autant. Les moqueries allaient bon train. La blonde qui avait fait vomir Jean était assise les jambes croisées au comptoir et sirotait sa bière à coté de l’homme à la voiture décapotable. Plus personne n’osait la regarder, ils avaient trop peur.
Jean finit par quitter le pub, un peu éméché. Il sortit droit comme un comptable. Une jeune femme le salua alors qu’il allait s’engouffrer dans le métro. Il lui rendit son salut en soulevant légèrement son chapeau. La jeune femme partit de son coté et lui continua son chemin. Ils ne firent que se croiser. Il y a des jours où on aimerait bien faire l’inverse mais Madame attendait à la maison, derrière la porte, avec son rouleau à pâtisserie. Plus il la faisait attendre, plus les coups seraient durs. Bon ! L’alcool ça anesthésie un peu mais le réveil risque d’être difficile, surtout que la nuit se terminera immanquablement sur le canapé tout déglingué qui siège dans le salon. La perspective n’était pas joyeuse.
Il était sur le quai du métro et se remit à vomir, ce coup-ci, les premières bières ingurgitées. D’habitude, ça se termine aux toilettes mais lui, il n’a pas voulu faire comme les autres. Le peu de gens qui attendaient le métro, le regardèrent de travers, n’osant pas attaquer de front cet individu imbibé. Après avoir bien vomi, il réfléchit et fit demi-tour. Remonta les escaliers et sortit dans la rue.
Il marcha un peu et vit que le bar était encore ouvert. Il entra. Les jambes molles, il s’affala sur la banquette et se mit à penser. « Bon ! Si je rentre maintenant, je suis mort. Il faut que je trouve une histoire pour faire croire à Ginette que ce n’est pas de ma faute et qu’il m’est arrivé des choses insensées, aujourd’hui ». Il se commanda un double expresso. Ses yeux fatigués flottaient dans le vide. Son cerveau à cet instant, on est en droit de se demander dans quel état il est. Un grand moment de solitude.
Jean n’était, non seulement pas très courageux mais pas non plus très futé. Il réfléchit longtemps, enfin, on espère… ! Le café finit par agir. Il sautait nerveusement sur son siège, croisait les jambes, les décroisait, se grattait la tête. « et si j’attendais la fin de la nuit pour rentrer ? » Subitement, il entendit le cafetier hurler « on ferme ».
Il se retrouva sur le pavé et erra sans trop savoir dans quel sens aller. Plus de métro, plus de bus. La nuit était fraîche. Il traîna longtemps. Les dés étaient jetés, il n’avait plus le choix, il devait attendre six heures du matin, pour rentrer chez lui. Il prendrait le premier métro avec un peu de chance, Madame serait endormie. Il fallait qu’il fasse discret, surtout ne pas la réveiller. Il passa le reste de la nuit sur un banc, assis près d’un clochard. Ils taillèrent une bavette. Le clochard avait des difficultés à s’exprimer. Il marmonnait plus qu’il ne parlait. Il était sale, il puait mais pas trop. Au grand air on pue moins, ça fait ça à tout le monde. Ses jambes étaient enveloppées dans un sac de couchage bleu-marine. Il proposa à Jean un coup de rouge que Jean, au point où il en était, finit par accepter. Le velours de l’estomac, un petit vin de pays, bien rêche qui se fait sentir quand il descend dans le ventre. C’est la qu’on se rend compte que l’on a un œsophage et tout le reste qui va avec. La loi des séries, deux vomissements en appelle un troisième. Jean, malgré tout se retint. Il allait vexer son acolyte. Il endura, il fit mine, pour une fois, il résista. À quel prix !
Il se demanda quand même : « Si j’étais rentré à la maison… ?
Je n’aurais pas eu à subir tout ça ».

Mon Premier Scénario

J’ai eu le plaisir d’être sélectionnée pour écrire un scénario de court métrage, dans le cadre du festival international du film de femmes.
Marion, pendant six séances nous a mis le pied à l’étrier. J’ai apprécié son professionnalisme et son humilité. Pour ma part, elle m’a appris beaucoup et me donne envie de continuer.
J‘ignore, à ce jour, si j’aurai le prix du meilleur scénario 2015, mais ce fût un réel bonheur d’avoir participé à ces ateliers.
J‘y ai rencontré des personnes formidables.

Paulo

Le soir, dès que la nuit tombe, Paulo rembarque tout son fourbi, met les sacs dans le caddie empruntée à Facility market et prend le chemin du quai d’Austerlitz. Les sacs sont tous retournés pour que l’on ne voit pas les marques, parfois ils sont renforcés par de la ficelle. Paulo pousse son barda lentement sur le trottoir, ses pieds trainent et font un bruit de friction avec les pavés.
Devant son bol de soupe, le pain dans la main gauche, il lape bruyamment le liquide chaud.
Son père était un homme dur, un ancien militaire à la retraite, sa mère, une brave femme mais un peu faible. Chaque soir, quand Paulo rentrait de l’école où il y faisait une scolarité médiocre, Paulo prenait une raclée. Son père, énervé par l’abus d’alcool, lui faisait payer une journée inutile, passée à l’oisiveté qui donne soif.
Il se maria un jour de juin, comme tout le monde, avec une jeune femme. Bien jeune. À ce mariage, il n’y avait qu’eux et les deux témoins.
Il rompit les amarres et quitta sa femme qui attendait leur deuxième enfant. Il partit comme quand il a quitté ses parents, brutalement, sans rien dire, sans un mot, sans prévenir. Il en avait marre.
Le métro, c’est chez lui. Il garde une distance respectable avec le copain d’infortune. Moi, de ce côté du distributeur de friandises, toi, de l’autre côté.
Rafle dans la rue, ce soir là. La police force Paulo à monter dans le bus, direction Saint-Lazare. Douche obligatoire. Accueil de bénévoles qui distribuent à tout le monde des savonnettes, des rasoirs, serviettes éponges et autres objets utiles pour rendre un homme présentable. Beaucoup grognent, Paulo, lui ne dit rien, comme d’habitude. Il obtempère et va se doucher. Le plus dur, c’est de savoir que les habits que l’on a trainé pendant des semaines, vieux compagnons de misère, vont aller à la poubelle et qu’il va falloir se réhabituer aux nouveaux vêtements qui sentent la lessive et le propre. Et puis, les chaussures encore à faire.
Paulo met son gobelet de café vide devant lui, installe tous ses paquets autour de lui comme pour se protéger. Il gare son caddie à proximité de son campement de fortune, puis s’assied sur un carton qu’il vient de récupérer et attend. Attend.
Merci, merci…B’jour, m’ci. Paulo, ses mots de la journée sont : « b’jour et m’ci » . De temps en temps, il pique un roupillon mais quand même, reste vigilant, un œil ouvert sur le gobelet dès fois que …!
Un jour, Paulo il a fichu une beigne à son petit garçon, faut dire qu’il l’avait bien cherché. Il n’a pas arrêté de couiner pendant des heures. Paulo, il a eu peur et quand sa femme lui a annoncé sa grossesse, la deuxième, Paulo il a paniqué. Tout est remonté. Paulo, lui, il est gentil un peu comme sa mère.
Les voisins du campement, sous le porche du super marché, viennent le voir lorsqu’il rentre du travail. Il prennent un peu de temps et essayent d’engager la conversation avec Paulo. Paulo, il est méfiant et il faut, vraiment en vouloir pour lui sortir de la bouche quelques mots. Et puis, il faut bien dire, Paulo, il ne sent pas bon.
Paulo, il est comme son père, il boit et quand il a trop bu, il devient agressif. Alors, gare à celui qui viendrait le chatouiller. Il balance vite des coups de pieds et de poings. Paulo, ce n’est pas un gars qui se laisse faire,sauf quand il est à jeun.
Son pied pourri le fait souffrir. À force d’être assis, les jambes gonflent et les chaussures deviennent étroites, trop serrées, insupportables. Peu à peu, les pieds sont anesthésiés et les plaies peuvent s’agrandir.
Sur son carton, Paulo essaye de dormir. Il s’est habitué aux passages des voyageurs. Le bruit du métro donne un rythme à son sommeil.
Des potes, il en a. Julo, c’est celui qu’il préfère. Il pue, comme lui. Il ne parle pas, comme lui. Il partage son litre de vin et ne lui a jamais rien volé. De temps en temps, ils se racontent des histoires et Paulo, il rit. On voit les trous dans sa bouche et les dents pourries qui s’accrochent désespérément à la mâchoire. Bientôt, Paulo, il ne boira plus que de la soupe… et du vin.
Dans son sac préféré, il y a un secret. En quittant ses parents, Paulo a emmené avec lui son ours en peluche. Paulo, il peut tout perdre mais pas ça. Son ours, c’est toute sa vie. C’est lui qui le réconfortait quand son père lui mettait des torgnoles.
La pluie, alors ça, Paulo, il n’aime pas du tout. Autant Paulo aime le vin mais l’eau… déjà quand il faut se laver !
Le regard dans le vide, il voit la mer. Il est assis sur le sable, les coudes en arrière et scrute l’horizon. Ce ciel bleu ! ces arbres ! des cocotiers. Il a lu ça quand il était petit, cela s’appelle des cocotiers. Paulo rêve. Paulo, il reste en vie … grâce aux cocotiers.