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Oraison funèbre d’une jeune mère

Voici l’oraison funèbre d’une jeune mère aplatie par la roue arrière d’un bus, laissant neuf orphelins livrés à eux-même.
Elle vivait sagement, depuis toujours près d’une mare. Jeune, elle aimait y faire trempette.
Elle rencontra un jour, un mâle bien fait de sa personne qui lui fît des rejetons, neuf en tout.
Elle étouffait près de cette mare avec son compagnon toujours sur le dos.
Un beau jour, elle décida de partir à la ville avec ses neufs petits.
Bien mal lui en pris et c’est là que l’aventure commença.
Elle déambula fièrement avec ses enfants derrière elle, dans les rues de Quimper. Les gens s’en amusèrent, la regardant avec de larges sourires. Pourtant la situation était plus que compliquée. La mère pas habituée à la ville commençait à paniquer. Elle allait d’un endroit à un autre, cherchant à protéger sa progéniture qui lui obéissait au doigt et à l’oeil.
Deux femmes inconnues de la mère essayèrent de l’aider à retourner dans sa belle contrée. La mère méfiante ne connaissant pas ces personnes, se tenait à distance de ces importunes. Elle traversait la route hors des clous, sans regarder, entraînant ses enfants vers un danger évident. La catastrophe devait arriver, un bus passant par là et plutôt courtois, la laissait traverser.Il s’arrêtait et la regardait amusé. La mère continuait sa folle cavalcade, suivi de sa petite troupe quand, soudain prise de desespoir se jetait sous la roue arrière du bus qui avait entre temps redémarré car il était pressé. La mère fût écrasée net, par le bus. Ses tripes sortaient de son abdomen. Ce n’était pas beau à voir. Son agonie dura un court instant, elle redressa la tête et dans un long souffle, retomba sur le bitume, raide morte.
Les petits s’affolèrent et coururent dans tous les sens. Une femme pleine de compassion arrêta sa voiture et ramassa la pauvre mère, encore toute chaude. Elle récupéra les petits un à un, aidée des deux passantes encore sous le choc, atterrées par l’horreur de la scène.
La vie fût bien courte pour cette jeune mère si attentionnée pour sa nichée. Mais quelle idée lui en a pris de se rendre à la ville, lieu de tous les dangers et de perdition. Une cane ne devrait pas quitter son foyer pour d’aussi futiles raisons.
Elle laisse, maintenant, neuf petits orphelins qui chaque jour pleureront leur mère défunte à qui ils doivent la vie.
Adieu jeune cane inconsciente, tu nous manquera, 
fini les « coin-coins » de joie et de fureur,
fini les mouvements d’ailes éclaboussants tout sur son passage,
fini les dandinements provocants,
une casserole t’attend.

coin-coin

 

Dix milles ans après J. C. Dupont

Milledeux se pose sur la planète bleue. Il sort de son véhicule sphérique, transparent et sans porte. Il a juste à traverser la bulle pour se trouver dehors. Enveloppé sur tout le corps d’une matière fluorescente, orange, les yeux, épargnés par la tenue « nouvelle mode », sont protégés des rayons ultra-violets par des lunettes longues vues avec multiples optiques et filtres protecteurs. Ses lunettes ont été greffées définitivement autour de chaque œil.
Dans ce monde, il n’y a plus de bruit. Dans le crâne de Milledeux a été implanté, à sa naissance, un émetteur-récepteur qui lui permet de communiquer avec ses congénères sans formuler le moindre son, la pensée suffit. Sur cette planète, il n’y a que les ondes qui circulent. Le silence est la règle depuis bien longtemps, d’ailleurs les gens ne savent plus parler.
Milledeux se propulse dans la ville qui n’en est plus une, le corps à la verticale, légèrement au-dessus du sol. Pour son travail, Milledeux réintègre sa bulle.
Il n’y a plus de nuage, plus de pluie, plus d’ozone, ainsi le soleil peut envoyer ses rayons, plein pot. La terre s’est arrêtée de tourner, il y a des lustres. Milledeux lorsqu’il veut dormir, fait le tour de la planète dans son propulseur globuleux transparent dit plus communément P.G.T. et se rend de l’autre côté, là où le soleil ne peut plus taper.
Les gens sont tous fluorescents et de couleurs différentes. Le orange est très à la mode ces temps ci. Ils n’ont pas vraiment d’âge, ni de sexe d’ailleurs. Pour s’alimenter, ils se dirigent tous au même endroit, la fabrique à énergie. Ils branchent l’extrémité du bras droit dans une prise prévue à cet effet et restent quelques secondes connectés. Quand ils ont fait le plein, les doigts se décrochent d’eux même. Plus besoin d’éliminer, plus de déchet.
Milledeux est le dernier à être né,  mille deux cent ans après son prédécesseur, d’où son nom Milledeux. Maintenant, la planète est complète.
Milledeux aime bien l’eau, il faut dire qu’il y en a beaucoup. Son P.G.T. le porte de vague en vague. Mais ça, c’est pendant les vacances.
Milledeux a un rôle bien défini dans la société. Il empêche ses congénères de tourner en rond ce qui lui procure beaucoup de travail. Il n’est pas le seul à qui l’on ait confié cette mission. La répartition se fait au millier de kilomètres carrés où M.K.C. Milledeux couvre à peu près trois M.K.C. Avec  sa sphère mobile, il se heurte aux malheureux qui ont perdu le contrôle de leurs véhicules ce qui entraine un changement d’axe. En fait, il travaille essentiellement pour les désaxés.
Milledeux n’a pas de petite copine. Enfin, il ne le sait pas car tous les habitants sont asexués. Plus besoin de se reproduire. Il est rare que l’un d’entre eux périsse. Le seul moment où il manque un individu, c’est quand il décide de migrer vers une autre planète. La sphère est toujours plus transparente ailleurs.
Dans les usines à énergie, les individus se tiennent par la main, en gigotant frénétiquement. Ils forment une chaîne compacte, produisant une force phénoménale. Le dernier maillon de la chaîne a pour fonction de connecteur qui alimentera les habitants.
Milledeux vient de repérer un copain à lui, tout proche, à dix milles kilomètres. Ils s’échangent des banalités d’usage du style : « tiens t’a une nouvelle couleur ! » Sa joie est à son comble. Il n’aura pas besoin de retourner de sitôt à la fabrique à énergie.
Dans cette société, il y a les faiseurs d’énergie, les empêcheurs de tourner en rond et à un grade supérieur, il y a ceux qui bloquent la terre pour qu’elle ne se remette pas à tourner. Cela mobilise beaucoup de monde. Les habitants prévus à cet effet, se positionnent entre la nuit et le jour sur la ligne de démarcation et dans un même élan font une contre-rotation. Ceux-là ont le double de vacances et ont droit à des rations d’énergie plus importantes. À force, ils sont devenus énormes et ont du mal à réintégrer leurs sphères, à tel point qu’on a du fabriquer des sphères trois fois plus grandes que celles des autres.
Le pote à Milledeux, lui, il aplanit la surface de la terre. Son rôle consiste à ne plus voir un morceau de terre dépasser. La tâche est immense, des volcans se rebiffent régulièrement et là, il faut tout refaire. Lorsque Milledeux atterrit, il n’a pas de souci, tout est nivelé à deux mètres au dessus de la mer. Son camarade est très consciencieux.
Il n’y a plus de ruisseau, plus de rivière. Les animaux ont fini par disparaitre, en même temps, ils ne servaient plus à grand-chose. Milledeux n’en a jamais vu, mais les ancêtres en parlent comme d’une légende.
D’un côté de la terre, il y a ceux qui travaillent et de l’autre, ceux qui dorment. La partie nuit contient la moitié de la population, tous en lévitation, bien rangés les uns à côté des autres, les pieds contre les pieds de la colonne suivante, vieille résurgence du temps où  il ne fallait pas indisposer les dormeurs par de potentielles odeurs fétides. L’autre moitié s’agite, dans le respect d’un ordre bien pensé, pas de rotation intempestive qui pourrait contrecarrer le travail de ceux qui empêchent la terre de tourner.
De temps en temps, un individu s’échappe et va s’écraser contre un astéroïde. Alors, il faut remettre en route la machine à procréer et là intervient le laboratoire. Il est tenu dans un endroit secret, seules quelques personnes sont au courant. Décongélation et c’est parti pour un tour. La machine se met en marche pendant vingt millisecondes. Le temps à l’embryon de grandir de lui plaquer sur tout le corps une combinaison fluorescente, lui greffer un émetteur-récepteur et des optiques longues portée, filtrants sur les orbites et le tour est joué. La notion de temps s’est considérablement modifiée, vingt millisecondes correspondaient à vingt ans dans les premiers siècles.
Celui qui avait osé casser le bel ordonnancement de la planète bleue est remplacé au pied levé, ni vu, ni connu, seules les renseignements généraux sont informés. À la sortie du petit nouveau, du laboratoire, les R.G. l’encadrent de près pour qu’il ne prenne pas de mauvaises habitudes. Le nouveau s’appellera…? Mais ce n’est pas encore arrivé. Tout cela n’est que de la science fiction et puis Milledeux tient à son titre de petit jeune.