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Paulo

Le soir, dès que la nuit tombe, Paulo rembarque tout son fourbi, met les sacs dans le caddie empruntée à Facility market et prend le chemin du quai d’Austerlitz. Les sacs sont tous retournés pour que l’on ne voit pas les marques, parfois ils sont renforcés par de la ficelle. Paulo pousse son barda lentement sur le trottoir, ses pieds trainent et font un bruit de friction avec les pavés.
Devant son bol de soupe, le pain dans la main gauche, il lape bruyamment le liquide chaud.
Son père était un homme dur, un ancien militaire à la retraite, sa mère, une brave femme mais un peu faible. Chaque soir, quand Paulo rentrait de l’école où il y faisait une scolarité médiocre, Paulo prenait une raclée. Son père, énervé par l’abus d’alcool, lui faisait payer une journée inutile, passée à l’oisiveté qui donne soif.
Il se maria un jour de juin, comme tout le monde, avec une jeune femme. Bien jeune. À ce mariage, il n’y avait qu’eux et les deux témoins.
Il rompit les amarres et quitta sa femme qui attendait leur deuxième enfant. Il partit comme quand il a quitté ses parents, brutalement, sans rien dire, sans un mot, sans prévenir. Il en avait marre.
Le métro, c’est chez lui. Il garde une distance respectable avec le copain d’infortune. Moi, de ce côté du distributeur de friandises, toi, de l’autre côté.
Rafle dans la rue, ce soir là. La police force Paulo à monter dans le bus, direction Saint-Lazare. Douche obligatoire. Accueil de bénévoles qui distribuent à tout le monde des savonnettes, des rasoirs, serviettes éponges et autres objets utiles pour rendre un homme présentable. Beaucoup grognent, Paulo, lui ne dit rien, comme d’habitude. Il obtempère et va se doucher. Le plus dur, c’est de savoir que les habits que l’on a trainé pendant des semaines, vieux compagnons de misère, vont aller à la poubelle et qu’il va falloir se réhabituer aux nouveaux vêtements qui sentent la lessive et le propre. Et puis, les chaussures encore à faire.
Paulo met son gobelet de café vide devant lui, installe tous ses paquets autour de lui comme pour se protéger. Il gare son caddie à proximité de son campement de fortune, puis s’assied sur un carton qu’il vient de récupérer et attend. Attend.
Merci, merci…B’jour, m’ci. Paulo, ses mots de la journée sont : « b’jour et m’ci » . De temps en temps, il pique un roupillon mais quand même, reste vigilant, un œil ouvert sur le gobelet dès fois que …!
Un jour, Paulo il a fichu une beigne à son petit garçon, faut dire qu’il l’avait bien cherché. Il n’a pas arrêté de couiner pendant des heures. Paulo, il a eu peur et quand sa femme lui a annoncé sa grossesse, la deuxième, Paulo il a paniqué. Tout est remonté. Paulo, lui, il est gentil un peu comme sa mère.
Les voisins du campement, sous le porche du super marché, viennent le voir lorsqu’il rentre du travail. Il prennent un peu de temps et essayent d’engager la conversation avec Paulo. Paulo, il est méfiant et il faut, vraiment en vouloir pour lui sortir de la bouche quelques mots. Et puis, il faut bien dire, Paulo, il ne sent pas bon.
Paulo, il est comme son père, il boit et quand il a trop bu, il devient agressif. Alors, gare à celui qui viendrait le chatouiller. Il balance vite des coups de pieds et de poings. Paulo, ce n’est pas un gars qui se laisse faire,sauf quand il est à jeun.
Son pied pourri le fait souffrir. À force d’être assis, les jambes gonflent et les chaussures deviennent étroites, trop serrées, insupportables. Peu à peu, les pieds sont anesthésiés et les plaies peuvent s’agrandir.
Sur son carton, Paulo essaye de dormir. Il s’est habitué aux passages des voyageurs. Le bruit du métro donne un rythme à son sommeil.
Des potes, il en a. Julo, c’est celui qu’il préfère. Il pue, comme lui. Il ne parle pas, comme lui. Il partage son litre de vin et ne lui a jamais rien volé. De temps en temps, ils se racontent des histoires et Paulo, il rit. On voit les trous dans sa bouche et les dents pourries qui s’accrochent désespérément à la mâchoire. Bientôt, Paulo, il ne boira plus que de la soupe… et du vin.
Dans son sac préféré, il y a un secret. En quittant ses parents, Paulo a emmené avec lui son ours en peluche. Paulo, il peut tout perdre mais pas ça. Son ours, c’est toute sa vie. C’est lui qui le réconfortait quand son père lui mettait des torgnoles.
La pluie, alors ça, Paulo, il n’aime pas du tout. Autant Paulo aime le vin mais l’eau… déjà quand il faut se laver !
Le regard dans le vide, il voit la mer. Il est assis sur le sable, les coudes en arrière et scrute l’horizon. Ce ciel bleu ! ces arbres ! des cocotiers. Il a lu ça quand il était petit, cela s’appelle des cocotiers. Paulo rêve. Paulo, il reste en vie … grâce aux cocotiers.